Un amour impossible
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- Mon père n’en avait pas l’habitude.
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- Oh moi je ne vais pas dans ce genre de chose.
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- Son accent oriental arrondissait les mots, les étirait en même temps, sa voix grave enveloppait les sons et leur donnait une substance particulière, l’ensemble avait quelque chose d'envoûtant.
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- Il ne critiquait pas la façon dont les autres vivaient, mais il s’en écartait.
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- La religion était faite pour les esprits faibles.
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- Pour avoir la paix il suffisait de faire une ou deux concessions à la société. ça avait la double avantage de ne pas blesser les gens, et de récolter le moment venu ce qu’ils avaient à vous apporter.
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- Il dressait une liste de gens instruits qui étaient des imbéciles, en dépit de leur position publique élevée. Pour la faire profiter de son expérience, il lui expliquait qu’il fallait les flatter, car pour vivre libre il fallait être seul, et seul à savoir qu’on l’était.
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- Il la regardait fixement sans battre un cil, jusqu’à ce que, d’émotion, il soit obligé d’abaisser les paupières, bouleversé par son sourire. Elle avait un sourire doux. Mais jamais naïf. Son visage était rayonnant, mais réservé. Ses yeux étaient vifs, verts, pétillants, mobiles, mais fragiles, petits, cassés. Il lui parlait de la hauteur de ses pommettes, de la franchise de ses traits, de l’élégance de ses lèvres, de ce sourire qui transformait tout, et de son cou, de ses épaules, de son ventre, de ses jambes, de la douceur de sa peau, en cherchant le mot qui collait à ce qu’il voyait. Il se concentrait sur la sensation que ses mains éprouvaient quand il a caressait. Ses doigts s’attardaient sur une zone précise, pour trouver quelle matière exacte la texture de ce petit espace évoquait.---- La soie. C’est de la soie ta peau.
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- Ce moment, où je te donne la main. Ce moment précis, le moment lui-même. Où je glisse ma main dans la tienne. Cet instant-là. C’est un tel plaisir. Ces quelques secondes. Ahhhh… C’est merveilleux.
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- Il lui en faisait remarquer la rareté, et la chance qu’ils avaient. Il passait la chercher à son bureau. Appuyé au mur d’en face, il lui souriait.
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- Les gens veulent l’amour conjugal, Rachel, parce qu’il leur apporte un bien-être, une certaine paix. C’est un amour prévisible puisqu’ils l’attendent, qu’ils l’attendent pour des raisons précises. Un peu ennuyeux, comme tout ce qui est prévisible. La passion amoureuse, elle, est liée au surgissement. Elle brouille l’ordre, elle surprend. Il y a une troisième catégorie. Moins connue, que j’appellerai… la rencontre inévitable. Elle atteint une extrême intensité, et aurait pu ne pas avoir lieu. Dans la plupart des vies elle n’a pas lieu. On ne la recherche pas, elle ne surgit pas non plus. Elle apparaît. Quand elle est là on est frappé de son évidence. Elle a pour particularité de se vivre avec des êtres dont on n’imaginait pas l’existence, ou qu’on pensait ne jamais connaître. La rencontre inévitable est imprévisible, incongrue, elle est d’une nature tellement autre, qu’elle ne perturbe pas l’ordre social puisqu’elle y échappe.
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- Pierre! Oui. … Tu m’aimes? Regarde-moi. Je te regarde. Je t’aime Rachel. Moi aussi, tu sais.
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- Ouiii, bien sûr! Tu as raison Rachel. Mais tu crois que ceux qui se lèvent, là, ont tous eu un comportement exemplaire?
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- Quand il parlait de la femme de son frère, il disait << c’est une petite jeune fille simple >>. Et, pour expliquer le choix de son frère, << lui tout ce qu’il voulait c’était qu’elle soit gentille >> sur un ton qui laissait supposer que c’était une sorte de mésalliance.
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- … Je ne sais pas si je peux te parler de ça. Je pense. Il n’y a pas secrets entre nous, n’est-ce pas Rachel?
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- Je suis un garçon malheureux, tu sais Rachel. Je suis quelqu’un de seul. Je n’ai aucun ami. Tout le monde m’a rejeté. Autour de moi c’était la meute, tu comprends, la meute, et moi, isolé, au milieu…
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- J’étais orgueilleux. J’étais autoritaire. J’étais cassant. Il fallait toujours que j’en impose aux autres. Que je marque ma supériorité. J’étais un petit jeune homme vaniteux tu sais. Une sorte de petit marquis, assez prétentieux. Pas très sympathique. Je ne veux plus être cet homme-là.
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- Il avait une expression de sincérité totale.
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- Il parlait de lui au passé. Il disait qu’il voulait changer. Il était couché, il regardait le plafond. Puis il a tourné le visage vers elle, et il a aspiré ses lèvres. Il a remis sa main sous le drap. A introduit un doigt dans son vagin. L’a enfoncé. Puis il est entré en elle. Elle a eu une sensation complexe. Un courant électrique la parcourait en surface, en même temps l’onde atteignait le fond de son être. Elle a eu l’impression d’être anéantie. C’était une impression heureuse, celle d’être un être humain mais pas forcément elle. Un être humain, n’importe lequel, un mortel. Elle a joui autant par le frottement des allers et retours à l’intérieur d’elle de sa verge, que par le fait de se sentir: à la fois, prise comme une chose dans un grand vide, et intégrée à ce néant, incluse. C’était une sensation de vérité. Elle ne se sentait pas banalement remplie, mais annihilée, vidée de sa personnalité, réduite en poussière. Sa matière elle-même transformée, sa personne modifiée chimiquement. Elle faisait partie de ce rien. Le temps auquel elle appartenait s’était soudain étiré à des millions d’années. Son corps s’est raidi quelques secondes le temps de gémir, puis elle a tourné la tête sur l’oreiller. Elle a pleuré. Il a accéléré le mouvement et a éjaculé sur son ventre, par précaution comme il le faisait toujours, et selon l’accord qu’ils avaient pris.
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- S’il n’y avait pas eu tes yeux, ça ne serait pas arrivé, tu le sais? Ils sont si beaux, tes beaux yeux verts. Ce vert est si doux… Tu es une très jolie femme Rachel. Tu le sais?
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- Toi tu as du charme, c’est plus intéressant, tu es plus que beau.
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- Dis-moi qu’on sera toujours comme ça. Comme en ce moment. Que rien ne détruira ça. Jamais. Dis-moi que rien ne changera entre nous. Comme on est là. Avec tes jambes dans les miennes. Qu’on éprouvera ce qu’on éprouve en ce moment. Exactement. Cette impression qu’on a là, à l’instant, tous les deux, d’être la même personne. Dis-le-moi Rachel. Dis-moi << oui Pierre >>.
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- Oui Pierre. Moi aussi j’aimerais que ça continue, tu sais. Le plus longtemps possible, pas seulement dans un mois.
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- Parce que tu es très exigeante Rachel. Que tu aimes bien t’imposer. Qu’on fass attention à toi, y compris sexuellement. Si je te laissais faire, tu dirigerais les opérations. N’est-ce pas?
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- C’est important une femme qui vous fait confiance.
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- Je pourrais t’aider à trouver un petit appartement. Et, si tu veux te marier, parce que je comprends, pour une femme c’est important, je n’y verrais pas d’objection.
Avec un autre homme tu veux dire?
Ah oui. Je t’ai dit, moi, ce n’est pas possible. Pour nous ça ne changerait rien, On se verrait autant que tu voudrais.
Tu ne serais pas jaloux?
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- Il serait allé me décrocher la lune!
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- Le rêve des filles de l’époque était d’épouser quelqu’un qui leur permettait de rester chez elles.
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- J’aimais pas quand il m’embrassait.
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- elle avait enfin trouvé quelqu’un qui lui correspondait.
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- Il tient beaucoup à son indépendance. Il est très attaché à sa liberté.
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- Oui c’était important. Surtout que de son côté lui il se permettait des choses! Au début, il voulait faire de moi sa maîtresse. Et comme j’ai jamais donné suite, il m’a mené une vie infernale pendant des années. Heureusement qu’il m’a changée de service, et que je suis plus sa secrétaire personnelle.
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- Sur le chemin du retour, ils ont parlé des endroits où ils rêvaient d’aller un jour.
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- J’y suis jamais allée. Il faut absolument que tu y ailles.
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- Maman lui a jamais dit qu’elle avait eu un autre enfant… Et dans le quartier tout le monde a tenu sa langue. Personne lui a jamais rien dit.
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- Contrairement à toi, moi j’aime beaucoup mon père. Et je l’admire beaucoup. C’est un homme d’exception. Très intelligent. Curieux, brillant, drôle. Très vif, rapide. Très cultivé, très fin, très… C’est un homme hors du commun. Il est très…
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- Il a toutes les qualités si je comprends bien…
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- Il est entré dans ma vie, pour moi il en fait partie, je le vois pas en sortir. Tu comprends? Pour moi il est dans ma vie. Mais je sais pas comment ça va se passer. Je sais pas du tout.
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- Tu me présenterais à ta famille? Ou est-ce qu’il y aurait une séparation complète entre ta vie et moi?
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- Je ne t’épouserai pas, et tu le sais, on en a déjà parlé.
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- Ils se sont embrassés passionnément.
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- Pour le moment je suis donc dans l’incertitude complète de mon avenir.
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- Imagine un équilibriste qui risque à tout instant de tomber dans toutes les directions, mais conscient que ce risque c’est son métier et sa vie.
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- Si tu avais été riche, j’aurais sûrement réfléchi.
Ah bon…
J’aurais réfléchi. Oui. C’est vrai. Je suis franc. Avec toi je l’ai toujours été. Je ne t’épouserai pas, je te l’ai toujours dit. Et… on était d’accord pour faire cet enfant.
Oui.
Tu es enceinte, mais que tu le sois effectivement ne change rien Rachel. N’est-ce pas? On en avait parlé. N’est-ce pas?
Oui oui.
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- Elle avait toujours su, au fond d’elle, que ça ne pouvait pas se passer autrement.
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- Malgré les difficultés que rencontrait dans ces années-là une mère célibataire, qui plus est dans une petite ville, elle n’avait pas de regret. D’abord parce qu’elle avait vécu une grande passion.
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- Je t’aime plus loin que l’infini.
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- Si je faisais une bêtise, elle m’expliquait pourquoi je méritais une punition. Elle allait me donner une petite fessée. Je lui présentais mon derrière. Et elle me l’administrait. Ensuite je lui demandais pardon et je l’embrassais.
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- Il connaissait plusieurs langues. Ils s’étaient aimés. C’avait été un grand amour. J’avais été désirée. Je n’étais pas un accident. Elle avait été fière de me porter pendant neuf mois. Malgré les quolibets, et les phrases dites dans son dos.
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- Je demandais à Dieu de protéger ceux que j’aimais: …
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- Il ne m’est vraiment plus possible de changer quoi que ce soit.
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- Un départ c’était le départ.
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- J’ai envie de vous voir. J’en ai très envie.
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- Ce sont les seuls femmes en dehors des Japonaises, qui aiment vraiment s’occuper des hommes.
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- Un jour, tu de demanderas comment tu as pu éprouver de tels sentiments pour moi. Et ce jour-là sera bien triste!
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- Maintenant, tu t’en vas!
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- Là elle s’est effondrée. En sanglots. Elle pleurait d’autant plus que la surprise était totale. Comment aurait-elle pu imaginer, la veille, qu’elle se retrouverait dans cet état le lendemain?
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- Elle est trop dure la vie. Trop trop dure.
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- Elle s'était fait un film. Elle avait été bête, elle avait été naïve. Elle y avait cru. Tout ça à partir d’une petite phrase. << J’ai envie de vous voir. J’en ai très envie.>> Et voilà, elle s’était mise à extrapoler.
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- Elle venait de lui dire: << On n’a plus rien à faire ensemble.>> Plus: << Maintenant, tu t’en vas.>> Il était parti. Il lui avait apporté une ouverture sur un monde. et elle avait eu pour lui des sentiments qu’elle n’avait jamais ressentis auparavant.
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- Tu m’avais dit qu’elle était au ciel. Si elle est pas au ciel, alors, elle est où Mémé?
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- Je t’assure, tu devrais faire un concours de beauté des mains maman. Tu le gagnerais. J’en suis sûre.
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- On marchait sur cette petite route en se donnant la main, en parlant d’avenir et d’endroits où vivre.
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- Je ne lui ressemblais pas physiquement, mais en matière de goût je tenais forcément d’elle.
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- Je faisais partie d’un groupe de filles riches.
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- Oh oui! Tu danses, tu chantes, tu ris. Oh oui maman. T’es gaie.
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- Tu sais maman je t’aime plus, beaucoup plus, mais beaucoup beaucoup plus, que les autres petites filles aiment leur maman.
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- On avait de l’allure tous les deux, quand on dansait.
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- Je suis restée attachée à ton papa très longtemps.
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- Quand tu sortais avec un homme, et que tu étais pas mariés, tu sais, dans ces années-là, t’étais une moins-que-rien.
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- Je sais que ça a coûté cher mais ça valait vraiment la peine. C’était extraordinaire.
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- Oh tu sais, tu dis ça, tu le feras peut-être jamais!
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- C’est pas le même amour. C’est difficile à expliquer. J’ai besoin d’avoir une vie de femme. Une femme a besoin d’être aimée par un homme.
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- Dans ma vie je suis seule comme adulte. Pour vivre ma vie. Prendre des décisions. Partir en vacances, partager des choses avec quelqu’un de mon âge.
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- Les grandes personnes ont besoin d’autres grandes personnes, pour parler.
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- Tu es le grand bonheur de ma vie.
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- Il n’y a pas de plus fort. Ils ne sont pas de la même sorte. Ils sont aussi forts l’un que l’autre. Mais ils sont différentes. Ils ne se ressemblent pas. Tu comprends?
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- L’amour entre un homme et une femme c’est autre chose. Il peut ne pas être éternel. Mais il est très fort aussi.
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- Il n’y avait pas de richesse autour de moi.
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- Et toi tu as accepté, tu as voulu quand même !? Même s’il t’a dit qu’il s’occuperait pas de moi?
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- J’ai jamais autant aimé quelqu’un que j’ai aimé ton papa.
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- Apprendre est une des plus grandes joies de la vie.
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- ça peut pas être parfait sur tous les plans.
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- C’est la première fois de ma vie que je parle avec quelqu’un d’aussi intelligent! Et aussi intéressant.
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- C’est génial d’être aussi intelligent. Et aussi cultivé. J’aimerais bien tenir de lui.
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- Elle était heureuse de l’avoir vu. Triste de le voir partir. C’était tout le temps une arrivée un départ. Rien n’était stable.
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- Je pense beaucoup à toi dans cette période difficile, et je serais heureux de pouvoir te réconforter. En tout cas je vais essayer de venir vous voir. C’est une chose à laquelle je pense tous les jours.
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- Il faut pas se décourager.
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- On est allées se promener, on est allées au cinéma. Je peux pas faire plus. J’avoue. J’ai mes limites. J’ai pas le salaire de ton père, ni sa culture, je le regrette. Crois-le bien. Et je ne suis sûrement pas aussi intéressante que lui, je te l’accorde. Je voudrais bien moi aussi pouvoir t’offrir des choses qui t’intéressent.
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- Je ne peux même pas dire que c’est des relations. C’est très superficiel. Je n’ai personne chez qui je peux passer par exemple. Ou même à qui je pourrais téléphoner. J’aurais besoin de parler quelquefois voyez.
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- J’élève ma fille toute seule depuis qu’elle est née. C’est un grand bonheur mais c’est pas toujours facile.
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- Ce que je lui apporte ne lui suffit plus, je le comprends.
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- Je trouve ça normal d’une certaine façon. Et je dirais même, je l’accepte.
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- Son père est quelqu’un de très instruit. Beaucoup plus que je ne le suis.
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- Je suis bien obligée de l’accepter de toute façon. Vous pensez que j’ai le choix docteur?
C’est sûrement inévitable.
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- On s’intéressait aux mêmes choses, la littérature, le théâtre et les langues.
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- Deux personnes, c’est pas une famille, je regrette.
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- Tu ne peux pas m’obliger à penser qu’on est une famille. J’ai le droit d’estimer qu’on n’est pas une famille quand même. Et j’ai le droit de le dire.
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- Je suis désolée, c’est une évidence. Pas la peine de pleurer.
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- Je ne faisais jamais de remarque négative.
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- Que c’était une question de politesse, d’éducation, que j’aurais dû le savoir.
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- Tu de rendras compte, sans doute plus tard, de la douleur que tu m’infliges.
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- Je souhaite néanmoins que la vie se conforme à tes désirs.
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- On s’aime beaucoup mais c’est pas toujours facile. Ce que j’ai vécu m’empêche de vivre bien.
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- J’aimerais bien qu’il prenne conscience qu’il a foutu ma vie en l’air, tu vois. C’est tout.
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- Ils ne se sont plus jamais revus.
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- Tu es de quel côté là? Tu es de mon côté, ou tu es du sien? Je pouvais pas répondre.
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- Je t’aime. Je pense à toi beaucoup, beaucoup, beaucoup. Ici nous somme heureux, la vie est simple, douce, ça coule.
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- J’espère que tu continueras à m’aimer. Il le faut.
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- Tu crois pas que ça peut être un passage?
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- Nos relations sont foutues.
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- Je lui disais que j’étais la victime de leur égoïsme à tous les deux.
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- La vie peut être difficile, très difficile. ça sera pas toujours comme ça. La vie change.
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- J’ai sûrement eu de torts. Je ne le nie pas.
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- C’est pas toujours facile tu sais les relations, même avec les gens qu’on aime.
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- J’arrive pas à avoir une relation amoureuse correcte.
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- Je te dérange? ------ Non. Tu me déranges jamais.
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- Si une émotion émergeait, ni l’une ni l’autre ne l’extériorisait. Comme s’il n’y avait rien. Il n’y avait presque plus de rire non plus.
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- Elle avait le même sourire qu’avant, les mêmes yeux pétillants. ça, ça n’avait pas changé. ------ T’es magnifique.
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- Ton message m’a émue. Je voulais te dire que moi aussi je t’aime et je t’embrasse fort.
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- Il m’est apparu que, même quand on ressent la solitude, c’est souvent faux. Quelqu’un qu’on aime et qui vous aime, qui est là par sa présence ou sa parole, ça représente la vie. Bon, je raconte peut-être n’importe quoi, mais j’avais envie de te le dire.
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- Je veux pas que tu pleures.
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- Il avait toujours pensé que sa vie avait été plus ou moins ratée.
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- Oui. Sans doute j’étais aveugle. Crois bien que je le regrette. J’ai été tellement aveugle, tellement. Tellement.
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- Tu es quelqu’un de bien mamon.
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- Tu sais moi aussi maman il y a des choses dont je suis pas fière. Pendant combien d’années je t’ai dénigrée !? Hein !? Pendant combien de temps j’ai joué le jeu de mon père? Tu crois que j’en suis fière? A partir du moment où je l’ai rencontré, je me suis mise à te dévaluer. Toi. A te dévaloriser. A te critiquer. Alors que je t’aimais tellement. Tellement maman. C’est nul. J’ai été nulle. C’est lamentable. J’ai honte aujourd’hui. J’ai honte d’avoir fait ça. De t’avoir déconsidérée. Pendant toute cette période, et si longtemps. Tu crois pas que je le regrette? Tu crois pas que je m’en veux moi? Quelle honte.
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- C’est difficile quelquefois d’exprimer certains sentiments. J’aimerais tellement pouvoir exprimer ce que je ressens. Mais les choses intimes sont les plus difficiles à exprimer.
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- Je peux te dire que toute ma vie je le regretterai. ------ Rétrospectivement, tu as compris pourquoi? ------ J’avais perdu confiance en nous.
J’avais perdu confiance en notre affection. J’ai été aveuglée par ça. J’avais perdu confiance. En toi. En nous. En notre affection. ça m’a aveuglée. Et je veux te dire que, jusqu’au bout de ma vie, Christine, je le regretterai. Je me disais c’est normal elle en a marre de sa mère. J’avais une perte de confiance totale. En nous. En notre relation. En toi. Je me disais elle découvre quelque chose de plus gratifiant. J’imaginais pas qu’il puisse y avoir une autre raison à ton état. Je pensais que tu étais mal parce que tu n’avais pas envie de me voir, de me retrouver moi. Parce que tu ne m’aimais plus.
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- Il y a une logique de fer.
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- Vous apparteniez à deux mondes différents, étrangers l’un à l’autre, en tout cas c’est comme ça que les choses ont été posées dès le départ. Et tu as accepté qu’elles soient posées comme ça. Parce que tu étais seule, parce que tu étais pauvre, parce que tu étais juive.
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- Il t’a fait comprendre aussi qu’il avait une vue générale de la société, et que toit tu ne l’avais pas cette vue. Puisque lui appartenait à un monde supérieur au tien.
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- ------ Sur le plan social, de toute façon, c’était vrai.
------ Oui, bon, bref. Et, comme son monde était supérieur au tien, sur plusieurs plans, selon leur classification, pas seulement sur le plan de l’argent, mais aussi comme ils disent de la << race >>, je te le rappelle, on n’en parle jamais mais pour eux ça compte, ça existe, il ne pouvait pas y avoir de conséquences sociales entre vous. Le but était de te faire perdre. Vous pouviez avoir une relation, mais à condition de respecter certaines règles, qui garantissaient que tu n’infiltrerais pas son monde. Qu’il y aurait des limites. La séparation de vos deux mondes devait être établie, et la supériorité du sien devait être établie, et la supériorité du sien devait être maintenue, bien au-dessus. Il ne fallait pas qu’il y ait de fusion. Donc, évidemment, il ne t’épouserait pas. ça c’est la base.
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- C’est l’histoire de rejet social.
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- Vous pouviez avoir un enfant, certes, un homme et une femme peuvent avoir une enfant, et s’aimer même en principe pas de problème.
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- Avoir un enfant, dans ces conditions-là, permettait de vérifier à quel point vous étiez de deux catégories séparées.
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- << si t’avais été riche j’aurais peut-être réfléchi >>.
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- Sauf que c’était contraire à la logique de leur camp. Contraire à ce qu’ils veulent. Donc qu’est-ce qu’il pouvait faire? Eh bien, il a trouvé. Il a ignoré l’interdit fondamental pour les ascendants d’avoir des relations sexuelles avec leur enfants. C’était peut-être un interdit fondamental, mais ça ne le concernait pas. Pas lui. Comme s’il n’était pas mon père et que je n’étais pas son enfant. Il était au-dessus de ça, au-dessus de toi, de nous, et des règle sociales d’une manière générale. Y compris de la règle sociale fondamentale, donc très très au-dessus. Ne pas reconnaître un interdit qui s’applique à tous, c’est la distinction suprême. Tu comprends! Quelle classe! Et pour lui, ç’a été la façon ultime, imparable, d’annuler la reconnaissance. ça va bien au-delà de la prise de sang. C’était la négation automatique. Changement de point de vue. L’interdit fondamental, là, c’est plus celui des relations sexuelles entre ascendants et descendants, mais celui de la mésalliance. Comme ça il y avait toujours d’un côté toi, et de l’autre lui. Puisque c’était ça, qu’il fallait préserver à tout prix, c’était ça pour eux la règle fondamentale. Lui dans son monde supérieur. Et toi dans ton monde inférieur. Avec en plus, pour toi, dans ce monde inférieur, pour t’inférioriser encore un peu plus, te faire tomber dans le bas du bas du plus bas des bas-fonds, en prime, ta fille, violée par son père, et toi la mère qui voit rien, l’imbécile, la conne, l’idiote, la complice même va savoir. Tu descends encore de quelques degrés sur l’échelle de la respectabilité, là de toute façon il y a pas plus bas. Il y a pas plus bas que ça. Je suis sûre que c’est ça maman.
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- De l’état d’âme qui, cette lointaine année-là, n’avait été pour moi qu’une longue torture rien ne subsistait. Car il y a dans ce monde où tout s’use, où tout périt, une chose qui tombe en ruines, qui se détruit encore plus complètement, en laissant encore moins de vestiges que la Beauté: c’est le Chagrin.
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- Pour remédier à la déception, je veux oublier, partir, vers autre choses. Donc, c’est un genre d’échapper de l’échec?
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- Il y aussi la mère qu’on aime et qu’on n’arrive plus à supporter.
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- Je suis décidée. J’ai décidé de ne pas lâcher.
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- Comment grandir dans un livre? Grandir comme dans le réel, c’est-à-dire imperceptiblement?
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- Bien sûr, je m’illusionne. Pauvre idiote.
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- Ton clin d’oeil est nul, en littérature on ne s’en sort pas avec un clin d’oeil, pas plus que dans la vie.
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- J’essaye de caracoler avec ma phrase en guise de locomotive. Comme si un clin d’oeil pouvait aller quelque part. Et faire rentrer le réel dans un filet à papillons troué. Je ne risque pas d’y arriver.